Oh fuck! Mise k.o par la fièvre, endormie alors qu’elle s’était jurée de juste s’asseoir sur son lit. Son corps en a décidé autrement. La douleur de son bras était tellement forte qu’elle ne sentait plus rien. Nuit agitée pour l’assassin qui en a croisé un autre parmi les rues infâmes de Séoul. Couteau plantée dans son bras provoqua une peine monstre. Mais elle ne pouvait compter que sur elle-même pour trainer son corps las jusqu’à chez elle, laver la plaie et avaler un tas d’antalgiques. Il n’y a qu’elle et elle-même dans ce monde. Le reste est indigne de confiance.

Le jour remplaça la lune en un clignement d’yeux et le milieu de l’après-midi avait déjà sonné. Réveillée par la panique, elle sursaute de douleur. Snooze, snooze. Rappel : Oh Daehan date in 30 minutes. Elle discipline son corps de se lever et avale une potion – les maux de tête disparaissent instantanément. Haeyun dévale les escaliers et loupe une marche, se reprend à temps – son cœur faisant du hula oop dans sa cage thoracique. Et elle se dit qu’une petite heure ne la tuera pas. 60 minutes à sourire et prétendre que tout va bien, puis elle pourra visiter l’inmyeonjo du coin. S’évanouir pour de bon derrière le loquet de sa porte.

Son visage en sueur a un teint blafard, mais elle se rassure derrière une couche de maquillage magique, qui étale un air rayonnant. Loin du désastre poisonneux qui s’est emparé d’elle et de l’infection qui lui volera son bras si elle traine trop longtemps. C’est tant bien que mal qu’elle arrive au café, sourires factices placardés sur son visage – la kisaeng est une bonne comédienne. “Hi. Did you wait long?” Une minute de retard seulement. Elle s’excuse par habitude. Un homme violent peut toujours se réveiller. Les probabilités étaient basses avec Conan, mais elle n’était jamais à l’abri de mauvaises surprises. Elle aurait pu annuler (si elle ne s’était pas endormie) si ce n'était pour cette voix insidieuse lui murmurant de ne pas lui faire confiance, de rester sur ses gardes. Paranoïa qui la tient en sécurité. Ce n’est qu’un date entre amis.

sale manie de proposer à chaque jolie fille qu’il rencontre un rendez-vous. haeyun est pourtant différente des autres, dans un sens. seule kisaeng à qui il aurait pu avoir la malice de glisser ces quelques mots. les autres ne les intéressent pas autant qu’elle, respect et intimidation qui force une distance que haeyun a su briser. avec sa conversation simple, ses mains gardées sur son banjo, il ne s’est pas senti gêné. elle ne s’était pas rapprochée sur le fauteuil, lui proposant plus que les services d’hôtesses proposés initialement. le regard fier de madame jini porté sur ses filles qui savaient s’y prendre pour rapporter toujours plus d’argent à la maison.

haeyun était devenue celle qu’il venait visiter. celle qu’il l’intéressait le plus, celle à qui il attendait de parler lorsque ses journées étaient dures. elle l’écoutait, parfois se livrait même à lui, toujours en faisant attention au moindre de ses mots. mais c’était suffisant pour lui. alors, un peu trop éméché, il se surprend lui même à lui demander de prendre un café avec lui. s’ils étaient de simples amis, la proposition serait des plus normales, mais leur situation est aux antipodes de l’amitié. frontières brouillées par la chose qui les relie.

il ne la sait pas vraiment sur ses gardes, à des années lumières d’analyser son ton, son visage, son attitude. il la connaît chaleureuse, et c’est tout ce qu’il y a pour lui. « hi, haeyun! no, i just got here, don’t worry. what would you like to get? » sous-entendu qu’il l’invite - évidemment.

Méfiance obligée pour celle qui n’a jamais été en confiance auprès des hommes. À devoir cacher ses blessures d’un masque hypocrite, priant que ses plaies ne transpirent pas sur elle, qu’elle parviendrait à maintenir le visage de cette enthousiaste et douce kisaeng qui a su charmer homme comme femme. Parfois la culpabilité la prenait lorsqu’elle guidait ses proies dans sa main. Elle espérait que ça serait différent avec lui. Ça ne pouvait que l’être. En toute franchise, Haeyun aurait aimé laisser Conan tranquille ; loin d’elle et le préserver de son monde tumultueux où fausseté et caprices se mêlaient à l’or et l’affection qu’elle manipulait. Mais c’est Madame Jini qui la poussait à franchir les frontières du professionnel, à flouter les limites du convenable et à faire de lui une proie. Et ce sont les murmures de Muyan, ancrés dans sa tête comme un adage persistant, qui lui rappellent que les hommes de l’Ordre sont tous les mêmes ; Conan n’est pas différent du reste. Elle doit écarter sa compassion. Pourtant c’est le sourire qu’il lui donne, plein de candeur et de fraicheur, qui fait fléchir sa résolution et la fait répondre un ardent “I’ll take what you’ll have.” soufflé entre le crissement de son infection. Habitudes de kisaeng qui se veut complaisante, soumise et toujours en accord avec ce que le client demande. Elle lève la main pour appeler un serveur (erreur, le bras est lourd et la plaie brûle) car c’est son rôle de s’assurer qu’il n’ait aucun encombrement en sa compagnie.

Un silence embarrassant les couvre et elle se souvient de ses leçons : toujours mettre le client à l’aise. Alors elle brise la glace d’un sourire poli. “This is so different from the Eclipse.” Puis elle rougit. Elle-même ignore si c’est une réaction forcée ou naturelle. “I mean... meeting you here...in the Front.” Sans ses tenues éblouissantes et la magie de l’établissement pour l’embellir, ils paraissent étrangement humains, à l'abri des manigances de l'Ordre.